Comme nous en avons pris l'habitude depuis le début de
notre aventure, c'est en fin d'après-midi que nous levons l'ancre pour une
longue étape. Nous quittons Saint-Martin le dimanche 27 mai. Nous laissons
l'île à notre tribord alors qu'à bâbord nous longeons Anguilla. Il faut que
l'on passe avant la nuit la pointe de cette île, car un groupe de rocher y est
en embuscadé. Puis nous mettons toutes les voiles direction nord.
La première traversée était "techniquement"
facile. Il n'y avait qu'un vent, l'Alizée, qui ne pouvait que nous pousser vers
l'ouest. La traversée retour demande de connaître la météo, car il faut jouer
avec les anticyclones. On doit trouver notre route entre les hautes et basses
pressions. Si l'on s'approche trop du centre de la haute pression, il n'y aura
plus de vent, alors que si l'on s'approche du cœur de la basse pression, et en
fonction de sa puissance, on risque de très forts vents, avec la mer qui
l'accompagne. Les vents tournent autour du cœur des anticyclones (dans le sens
des aiguilles d'une montre pour la haute pression, et inversement pour la basse
pression), ils nous restent donc à trouver notre chemin au milieu.
Les premiers jours nous mettons le cap au nord-est,
avec une moyenne de 5 nœuds. Le temps est agréable, il ne varie pas de ce que
nous avons connu les 6 derniers mois. A bord, on s'organise entre lectures,
écoles, jeux, cuisine et activités créatrices (Aloha est devenu une usine
bracelets brésiliens!). Au coucher du soleil, on ne perd pas les bonnes
habitudes, ti'punch et planteur.
Chaque soir, 19h45 UTC (soit en fin d'après-midi pour
nous) c'est "les calculs" comme dit Robin. Comme cela avait bien
marché dans la première traversée, nous faisons noter aux enfants la
progression du bateau, calculer les miles totaux, les miles restants, la
moyenne du jour, la date prévue d'arrivée, et la position sur un graphique.
Cette fois, Robin tient son propre tableau. Il additionne les miles et reporte
sur son graphique les coordonnées. Chaque soir il est impatient de faire
"les calculs".
Comme nous n'avançons pas trop vite au début, je
m'aperçois que l'on aura trois anniversaires à fêter durant cette traversée:
nos 10 ans de mariage, autour du 30 mai! (comme c'est en principe nos mamans
respectives qui nous rappelle le jour J, cette année on est bien embêté!), les
44 ans de Gil et mes 45. Pour l'anniversaire de Gil, on oublie le gâteau fait
maison et la bougie, le vent soufflant de plus en plus fort, on est un peu dans
un shaker pour se mettre à faire de la pâtisserie! Comme on va le voir, notre
vitesse de croisière va s'accélérer et les perspectives d'arrivée calculer par
les enfants vont se rapprocher du 14 juin… la question deviendra fêtera, fêtera
pas mon anniversaire en traversée? Ca serait cool de pouvoir aller au resto ce
jour-là, en espérant en trouver au port où l'on débarquera!
Durant la première semaine, nous n'apercevrons qu'un
chalut de pêche au loin. Nous verrons la version moderne (soit plastique) de la
corbeille de Moïse voguer à quelques mètres du bateau, et plus loin une espèce
de bouée d'amarrage qui devait être une balise. Si non, le paysage s'est des
vagues, des vagues et encore des vagues! Le ciel varie plus, en début de
journée il est souvent dégagé, et se couvre dans l'après-midi. Parfois on
aperçoit une trace d'avion, et l'on peut se demander si un passager qui
regardait par le hublot nous apercevrait? Mais même si cela n'est pas varié, je
ne me lasse pas à regarder cette étendue d'eau, et essayer de réaliser que je
suis au milieu de cette immensité, de faire le plein de sentiments que l'on ne
peut ressentir qu'ici afin de pouvoir en parler plus tard.
Le 7ème jour alors que les vents nous ont
abandonné, et que Gil a mis, à ma grande surprise, sans attendre le moteur,
nous voyons au large notre premier cargo. Cette fois on se lance, et par VHF on
demande la météo. En principe les cargos répondent toujours aux navigateurs, en
mer on ne peut compter que sur les autres embarcations en cas de problèmes.
(Nous avons croisé à Marigot, un couple qui faisant route vers les Açores a
perdu le mât. Ils ont du rebrousser chemin et faire plus de 200 miles au moteur,
à 1.5 noeuds. Or leur capacité gasoil était bien inférieure. Par radio, ils ont
obtenu de l'aide de deux cargos qui se sont déroutés pour leur apporter de
l'essence. Quand le skipper a demandé combien il devait au capitaine du cargo,
c'est tout juste s'il ne s'est pas fait engueulé!) Avec les enfants on espère
que nous n'obtiendront pas la même réponse qu'un des participants à la
mini-transat en solitaire qui s'était vu répondre, alors qu'il désirait juste
parler avec un cargo croisé en pleine mer: "Je ne suis pas chargé de faire
la conversation avec les voiliers de passage. Au revoir." * Bref, je
demande donc la météo. Toute la conversation se passe en anglais. Le radio du
cargo est très sympa, me répète sans problème les chiffres, nous dit de
continuer sur notre route vers le nord, car nous allons retrouver une basse
pression en formation sur la Virginie. Mais quand on reprend les chiffres sur
la carte, on a de la peine à situer les anticyclone, s'est un peu flou. Comme
d'habitude, les chiffres anglais et moi on n'est toujours pas copains! Par
chance, le même jour, un second cargo passe au large. Une nouvelle fois on
tente notre chance. Le radio n'est pas de langue anglaise et j'ai plus de
facilité à le comprendre. Cette fois je répète en épelant tous les chiffres.
Mais avec Gil on mélange tout: latitude, longitude, coordonnées nord sud. Il
met de nouveau en doute ce que j'ai pris en note! OK OK demain on appelle Farid et on lui demande la météo en
français! Et les infos transmises sont d'une telle qualité, que Gil l'appelle
dès lors tous les deux jours pour faire le point.
Grâce aux informations obtenues, nous continuons deux
jours au nord-est, puis commençons à nous diriger de plus en plus est, cap sur les
Açores. Dès le 10ème jour, nous rencontrons des vents à plus de 25
nœuds, les moyennes journalières augmentent à près de 8 nœuds, voir un jour à
8,3. On bat notre record en parcourant 199 miles en une journée.
Le temps a changé. On dirait même que c'est l'automne!
C'est un peu brumeux, la visibilité est fortement réduite. Il pleut parfois,
mais surtout le taux d'humidité est monté à 80%. Tout est humide dans le
bateau, et ce n'est pas très agréable de se coucher dans des draps moites… Même
s'il fait plus de 22° dans le bateau et plus de 24° à l'extérieur, on a froid!
On sort les t-shirt, puis rapidement les pulls et les pantalons de training.
Est-ce qu'en août à notre retour à Genève devra-t-on sortir les doudounes?!
Avec ce temps, nous abandonnons l'apéro de 18h au profit du thé de 17h!
Au contraire de la première traversée, Robin s'ennuie
souvent, il demande toujours "j'peux faire quoi", et malgré nos
multiples propositions il n'est jamais satisfait. Farah elle a adopté une
formule qu'elle nous répète chaque soir (comme chaque enfant le dit souvent)
"on fait quoi demain?"! C'est vrai que le programme d'activité ne
varie pas trop…
Les trois derniers jours notre moyenne faiblit à
nouveau, entre 5.3 et 6.7. Le 15ème jour nous hissons le pavillon
Portugais. Cela mais de l'espoir. A la tombée de la nuit, nous ne sommes plus
qu'à 50 miles des côtes mais n'apercevons toujours pas la terre. 2 dauphins
viennent nous souhaiter la bienvenue et Gil va passé une nuit blanche. Il
n'aime pas dormir si près des côtes. Il a toujours peur qu'il y ait des erreurs
sur les cartes. Selon nos calculs, nous devrions arriver de nuit, ce qui n'est
pas recommandé pour entrer dans le port de Lajes das Flores… Devra-t-on réduire
les voiles pour ralentir l'allure?
Au petit matin, je suis réveillée par Gil qui range
affale les voiles et change de cap. Je sors sur le pont et admire devant moi,
Flores prise dans les nuages. Au moment d'affaler les voiles et entrer au
moteur dans le port, 2 dauphins sont à nouveau à nos cotés.
Après 15 jours et 12 heures, 2'260 miles à une moyenne
de 6,075, nous mouillons devant la digue de la marina de Lajes das Flores.
* 25 jours en mer, 6 histoires de voile, aux éditions Fleurus
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