15 jours, 10 heures et 35 minutes.
Avant le départ, je me suis posée beaucoup de questions sur cette traversée: comment allait-on ressentir cet isolement au milieu de l'Atlantique? Comment ressentir cette immensité d'eau autour de soit 24h/24? Osera-t-on se baigner au milieu de l'océan? …
Nous avons quitté le Cap Vert, un peu sur les chapeaux de roues le 10 novembre à 17h30 heure UTC. Devant nous, une quasi ligne droite était tracée entre le Cap Vert et la Guadeloupe:
Fogo: latitude: 14'54 N longitude: 24'30 W
Guadeloupe: latitude: 16'07 N longitude: 61'16 W
Les trois premiers jours le vent fut clément, dépassant à peine les 10 nœuds, et nous avançons à une allure de 4 à 5 nœuds. L'océan est relativement calme, petite houle et vagues régulières. Ce calme fait presque peur, ça ne semble pas normal, un peu angoissant… (je n'aurais pas dû regarder Calme blanc * avant de partir!). Nous apercevons le premier jour encore un cargo et un bateau de croisière, puis les rencontres, même lointaines se feront très rares voir inexistantes.
Les eaux étant relativement calmes, je tente à nouveau de pêcher. La traversée pouvant être longue, du poisson améliorerait notre quotidien… même avec deux lignes à l'eau on ne fait pas mouche. Nous perdons même le fils complet d'un des moulinets L
Le quatrième jour les alizées sont enfin avec nous, et c'est des vents de 20 à 25 nœuds qui nous poussent vers l'ouest. Aloha vogue alors à plus de 7 nœuds de moyenne.
Comme nous n'avons pas de spi, Gil imagine de tangonner le génois en ciseau, et Aloha fille de plus belle vent arrière. Le ciel est souvent nuageux la journée, et beaucoup plus dégagé la nuit.
La houle est plus prononcée, les creux de 5 à 6 mètres au début puis jusqu'à 8m, sont un peu plus espacés qu'en Méditerranée. Mais cette houle n'est pas toujours constante en direction et parfois on n'a même l'impression que nous sommes pris entre deux houles différentes de plus de 45°.
Comme nous sommes vent arrière, le bateau est relativement plat, mais tangue en permanence. Parfois des vagues nous rabattent et nous projettent plus violemment sur un bord. C'est une de ces vagues de travers relativement violente qui me fais valser dans le carré; résultat après 10 round Cassus Clae avait meilleure allure! J'ai ce jour-là mis au point le maquillage permanant pour une transat, pratique! (une légère commotion m'a retenu au lit près de deux jours).
A l'intérieur du bateau, nous sommes continuellement secoués et il y a en permanence des bruits. Imaginez-vous dans un avion quand parfois il passe à travers des turbulences… vous êtes un peu comme dans un shaker, mais en général cela ne dure que des périodes très courtes sur la durée du vol. Et bien pour nous c'est pareil, sauf que c'est 24h/24. Vous avez vraiment envie que cela s'arrête un moment, que le calme revienne pour quelques heures, juste de quoi reprendre en quelque sortes vos esprits, vous reposez de tout ce bruit, pouvoir cuisiner une fois calmement… Hélas vous ne pouvez rien faire, rien arrêter. Couchée dans mon lit avec le mal de tête après ma chute, j'aurais tellement aimé avoir une nuit calme…
Vous vous demandez certainement que fait-on pendant ces journées, où l'on ne voit que de l'eau (nous n'aurons malheureusement pas la chance de voir un seul animal, dauphin, baleine…)?
Les journées sont, il est vrai, un peu toujours les mêmes… Comme Gil finit son quart vers 4-5 heure du matin, nous le laissons dormir et commençons la journée avec une lecture pour les enfants (le petit prince, 25 jours en mer, …), puis un peu d'école (pas toujours évident de faire travailler certaine…). Ensuite petit déjeuner, dîner et souper! En effet, pour l'intendant d'un bateau, durant une traversée on a l'impression de toujours être à la cuisine, soit on fait à manger, soit on fait la vaisselle, soit l'on compose le prochain repas, ou encore on confectionne du pain ou des yogourts!
Les repas sont entre coupés par des activités, ou simplement l'observation de l'océan. Les enfants jouent parfois des heures sans qu'ils ne demandent quoi que ce soit, Farah fait la lecture à son frère, Robin apprend les nœuds, … Aucun n'a demandé une seule fois "quand est-ce qu'on arrive?".
Une traversée c'est l'occasion de lire, et lire en continu ou presque. Alors on peut s'attaquer à des pavés. Gil termine trop vite sa collection de SAS et s'ennuie! Quand à moi j'ai enfin eu le courage de lire j'ai serré la main du Diable (récit du Général Dallaire sur le génocide du Rwanda) et d'autres livres.
A 16h30 UTC tous les jours, Farah fait le point sur notre trajet. Elle note les coordonnées, les miles du jour, totaux et restants à parcourir (pour cela Gil lui a donné la distance en ligne droite plus 10% soit 2'500 miles, cette estimation légèrement supérieure a permis aux enfants de ne pas avoir l'espoir trop tôt d'arrivé et d'être surpris, puisque nous sommes arrivé avec plus d'un jour d'avance sur le dernier calcul de Farah), le nombre de jours restants à naviguer, la date et l'heure d'arrivée présumée. Sur un graphique, elle reporte les points GPS, ce qui permette aux enfants de visualiser notre avancée par rapport à l'arrivée.
En fin d'après-midi, nous appelons généralement quelqu'un à terre, mais surtout dès le 11.11.11 nos voisins de la route de Base, puisqu'ils attendaient un heureux événement… (annoncé pour cette date, mais le père tellement impatient nous avait dit déjà un mois avant que le bébé viendrait plus vite! On voit que c'est leur premier!) Donc chaque soir, nous appelons, si Yves ne répondait pas c'est que le bébé était encore bien au chaud dans le ventre de sa maman… Comme nous avions décidé de manger le bocal de cerises qu'ils nous avaient offert avant notre départ, Farah et Robin deviennent de plus en plus impatient et attendent avec impatience le contact du soir. Et on a dû attendre… c'est seulement le 21 novembre qu'Yves a enfin répondu… et nous avons dû être dans les premiers à avoir des nouvelles, car Nolan était né 4-5 heures avant. Nous avons alors ouvert le bocal de cerises comme une bouteille de champagne! (celle-ci on la boira à notre retour, avec les parents comme ça Laetitia pourra aussi en profiter).
Avant le repas du soir, nous faisons quelques jeux en famille car les journées s'éternisent un peu.
Nous vivons avec le soleil (surtout pour les enfants puisqu'ils ne font pas de quarts), ainsi nous décalons petit à petit nos horaires et récupérons le décalage horaire (5 heures avec la Suisse). Farah et Robin se couchent une heure environ après le soleil et se lèvent peu de temps après lui. C'est fou comme les enfants peuvent dormir sans jamais se réveiller malgré les bruits du bateau, les secousses ou les manœuvres.
Le 10ème jour, nous essuyons nos premières pluies, qui sont accompagnées à partir du 11ème jour d'une baisse des vents. Ce soir-là nous affalons même les voiles et tout le monde se couche pour la nuit (sans personne au quart). Le matin du 12ème jour nous apercevons un voilier à la limite de l'horizon. Nous essayons de prendre contact par VHF, mais rien… s'ils sont comme nous, ils naviguent VHF éteinte! Et comme nous n'avons pas encore remis les voiles ils ne peuvent pas nous apercevoir.
Ce jour-là apporte également une réponse à "se baigne-t-on au milieu de l'océan?". Sans voiles, c'est l'occasion de se rafraîchir dans l'eau. Prudent, le capitaine exige qu'un adulte reste toujours à bord… Il plonge le premier, et l'eau qui nous paraît si noire depuis notre départ (due à la profondeur des abîmes) devient soudain transparente. On distingue parfaitement le nageur sous l'eau, ou les petits poissons sous la coque. Ces derniers ce sont-ils réfugiés sous Aloha pour ce protéger à Fogo et ont-ils été malgré eux embarqués pour une transat? A mon tour, je descends prudemment dans l'eau, j'ai quand même de l'appréhension; des bêtes terribles sont-elles embusquées un peu plus loin prêtes à bondir? (merci tous ces cinéastes avec des films comme les dents de la mer 1,2,3,4 !). Je l'ai donc fait… j'ai osé. Regardez un globe terrestre (où l'océan Atlantique n'est pas si grand finalement) et imaginez un minuscule point au milieu de l'océan, une personne qui se baigne… Quand aux enfants ils ne font qu'observer.
Tout d'un coup, le 13ème jour, les Alizées reviennent. Comme ça, en moins de temps qu'il faut pour le dire, nous nous retrouvons avec les mêmes airs que 4 jours plus tôt et fonçons à plus de 7 nœuds en direction des Antilles.
Plus nous nous approchons de notre objectif, plus nous apercevons, voir subissons, des orages tropicaux. Parfois Aloha baigne dans le soleil, alors qu'au nord, au sud, à l'est et à l'ouest, nous apercevons 5 à 6 grains en même temps; certains sont suivis par des arcs-en-ciel, et là au milieu de l'océan c'est extraordinaire car ils partent de l'eau et finissent dans l'eau. L'arc est entier sur 180°.
Nous approchons des Antilles espérant trouver le soleil permanant et nous sommes sous la pluie… Les vents deviennent plus irréguliers en direction et moins constants. Est-ce l'effet des terres que nous ne pouvons pas encore apercevoir?
Le 15ème jour, le capitaine cria "terrrrrre…" Nous apercevons d'abord Marie-Galante, puis la Guadeloupe.
Quand nous étions au Cap Vert, et que nous changions d'île, nous calculions toujours pour arriver de jour au mouillage suivant, quitte à partir au milieu de la nuit. Mais quand vous faite une transatlantique, ce calcul n'est pas réaliste… et vous vous demander toujours si vous arriverez de jour ou de nuit (selon les calculs de Farah nous devions systématiquement arriver de nuit).
Apercevant les terres en début d'après-midi, cela devient évident que nous ne serions pas avant la nuit à destination. Nous admirons notre premier coucher de soleil sur les Antilles et profitons de voir les cotes des l'îles toutes illuminées.
Sachant que nous mouillons de nuit, l'escale de Saint-François, avec son approche difficile à travers la barrière de corail, et celle de Point-à-Pitre, avec ses hauts fonds, sont abandonnées, nous prenons la direction de Marie-Galante avec la baie de Saint-Louis, réputée calme et idéale pour les mouillages.
Les enfants veulent à tout prix nous aider. Nous préparons le gilet de Farah pour qu'elle puisse aider aux manœuvres. Comme l'approche fut longue, ils s'endorment sur le pont. Nous réveillons Farah qui mécaniquement, mais très endormie, met son gilet. Elle fait qu'un petit tour sur le pont, bien trop endormie pour aider aux manœuvres dont elle était d'habitude responsable, puis toujours avec son gilet s'installe à la table à carte pour veiller sur le profondimètre. Dès que l'ancre est jetée, elle va directement se coucher dans sa cabine, sans même voir la baie. Robin, quant à lui, n'a rien vu, rien entendu (même le déroulement de la chaîne qui n'est pas des plus silencieux) et a été porté dans son lit!
Nous mouillons dans la baie le 26 novembre à 4h05 UTC.
* j'ai un doute sur le titre du film !
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