vendredi 26 août 2011

Première traversée


Ca y est on est partis le dimanche 7 août un peu en catastrophe. Météo France annonçant un coup de Mistral pour le lundi et mardi suivant, nous avons pensé en marins suisses "partons avant que ce vent de terre touche Marseille", pensant que seule la côte serait touchée par les vents forts. Gil s'est abstenu de me dire qu'Eric, en marin du coin, l'avait informé que le Mistral descendait jusqu'en Tunisie…

18h55: on quitte le port du Frioul; quelques voisins sont là pour nous souhaiter bon voyage, et aussi un groupe d'une dizaine d'amis de l'électro nous font des grands AU REVOIR. C'était super sympa.
On sort au moteur, et on continue au moteur. Pas de vent!

20h00: on met les voiles enfin et on passe gentiment le phare au large de Marseille, en savourant notre dernier pastis.

21h00: Farah nourrit les poissons pour la première fois du voyage.

21h30: Robin "Quand est-ce qu'on arrive?" Ca promet vu qu'on estime à 7, les jours de navigation pour atteindre Madère…

22h00: le pilote danse la samba… nous devons nous en passer. La nuit va être longue.

23h30: cette fois c'est le Geonav principal (ordinateur de bord avec les cartes, le radar…) qui annonce "system not found". Impossible de le reconnecter. Il faudra aussi s'en passer.

1h30: je prends mon premier quart, le vent forcit de plus en plus, les vagues augmentent et dans cette nuit sans repères, sans pilote automatique, à la lueur de la nuit… je me dis pour la première fois "Pourquoi je me suis foutue dans cette galère?".

2h00: la lune ne me tient plus compagnie… je désespère, dans cette nuit noire, seule. La boussole me sert de repère, éclairée manuellement par une lampe de poche (l'éclairage interne ayant lui aussi fait grève pour cette nuit).

2h30: je rends la barre à Gil.

Nos premières 12 heures de navigation sont passées, le jour se lève, avec lui, le Mistral et ses vagues nous ont rattrapés.
Au début je n'ose pas noter dans le journal de bord "Etat de la mer: grosses vagues" mais Gil me rassure rapidement, la mer est bien formée, les creux sont estimés à 3-4 mètres.
En cours de journée, il osera annoncer 6-7 mètres…
Impressionnant de se retrouver entre deux murs d'eau plus hauts que soi. De plus les vagues sont rapprochées et Aloha mesure 17m; alors on n'est pas sorti d'une vague que la suivante nous assaille déjà.
Mais le bateau tient bien le cap (quand nous on le tient!).


Pour un baptême de navigation, c'est un vrai baptême.


Après une bonne nuit de sommeil (les vagues ne les perturbent pas pour dormir au contraire), les enfants nourrissent à tour de rôle les poissons avec le peu qu'il leur reste dans l'estomac et ce qu'ils arrivent à avaler entre deux. Ils seront bientôt rejoints par Gil. Les vrais marins c'est ça! "Il faut manger, vomir, manger, vomir, re-manger et boire… jusqu'à ce que cela s'arrête!" dixit Gil. Les enfants obéissent, et quand ils gardent dans l'estomac un thé plus d'une heure, ils sont tout contents!
Malgré l'état de leurs estomacs, les enfants ne montrent aucun signe de peur. "Attention maman une grosse vague", ils observent au gîtomètre la différence de degrés de chaque vague. Même quand Aloha penche à près de 45°, qu'on se fait ramasser par une vague latérale mal anticipée, ils ne pipent mots, tout juste s'ils ne rigolent pas. Je trouve cela rassurant pour la suite du voyage, quand on sera en Atlantique. Et nous, en tant qu'adulte(enfin surtout moi puisque c'est la première fois), on n'a pas le droit de montrer notre peur.
Dans la journée, Farah sortira cette petite perle "Maman, quand on fera la grande traversée, il y aura aussi l'école ? – Oui – Alors, tu feras comme à la vraie école, des pauses mais pour vomir!" Pauvre puce, ton estomac t'a vraiment joué des sacrés tours ce jour-là.
Et en début de soirée, contre toute attente "maman on mangerait bien des pâtes!".
Bon et bien voilà le moment de tester mes capacités de cuisinière dans le gros temps. Un petit tour en bas pour mettre l'eau à chauffer; un petit tour sur le pont pour un bol d'air frais; trois petits tours pour vérifier si l'eau est chaude et hop des pâtes 3 minutes à cuire (je croyais pratique d'avoir un temps de cuisson raccourci, mais là ça sert à rien, au contraire j'ai que 3 minutes en surface pour reprendre mes esprits!); et hop en bas pour vider l'eau; encore un peu d'air avant de mettre les pâtes dans un plat sans beurre (là ça devient trop trop dur pour mon propre estomac); deux fourchettes, tout le monde mangera dans le même plat ! Enfin pour ceux qui arriveront à ingurgiter de la nourriture…
Farah propose très pragmatique " On n'a qu'à se mettre dans une calanque pour la nuit!" Ok ma puce, mais t'as vu une terre par ici au milieu de la mer?
Décisions est prise de rejoindre les Baléares (sur notre route de toute façon) et d'y faire une halte pour se remettre de nos premières émotions et voir si Gil peut réparer le pilote et le Geonav.

Deuxième nuit sans problèmes de sommeil pour les enfants malgré la tourmente.
Par contre, vers 3 heures du mat on aperçoit des phares. A combien est-on des îles? Il y a des lumières à droite et à gauche; ose-t-on aller tout droit sans risquer de s'échouer? Normalement oui, mais avec ces vagues?
Décision est prise, nous affalons et laissons Aloha à la dérive. Tous les manèges de la rade genevoise se sont alors donnés rendez-vous au milieu de la Méditerranée. Ici pas de regrets, au bout de 3 minutes cela ne s'arrête pas. Vous en avez pour votre argent !

Au petit matin, nous remettons les voiles et voguons vers l'île de Minorque, au sud pour se mettre à l'abri.
11 heures. Enfin nous jetons l'ancre devant Playa de Son Xoriguer. Nous y passerons le reste de la journée ainsi que tout le jour suivant. Gil profitera de faire la réparation du pilote et on atteindra le vendeur du Geonav (qui nous enverra chez le fournisseur italien).
Premières baignades et jeux dans l'eau. Robin qui au début voulait absolument aller à la plage, s'est vite habitué à "nager" directement depuis le bateau. Il a fait des supers progrès (merci Françoise et ton équipe).
Nous ne mettrons même pas le pied à terre.

Jeudi 11 août, nous reprenons notre route, mais le vent n'est plus de la partie et c'est au moteur que nous nous dirigeons vers Gibraltar, en longeant Majorque, puis Ibiza.
Nous attendons toujours des nouvelles du fabriquant pour savoir où s'arrêter pour effectuer la réparation du Geonav. Pas facile de trouver un lieu en Espagne: ils commencent le travail à 10h et comme c'est l'été les bureaux sont fermés l'après-midi. En plus, c'est bientôt le week-end prolongé du lundi de l'Assemption! Finalement, nous décidons avec le fournisseur de réparer à Madère, c'est plus sûr avec les délais d'expéditions.
En soirée, Eole ne voulant toujours pas être de la partie, nous décidons de jeter l'ancre dans une magnifique calanque d'une petite île au large de Majorque. Etrange, c'est calme, magnifique et pourtant aucun bateau n'y mouille? Et pour cause…
Le matin à la sortie de la calanque, drôle de surprise, nous sommes interpellés par un bateau "vous n'avez pas le droit de mouiller ici, c'est une réserve naturelle" On se pourfend en excuses et ça passe. On sera quitte cette fois pour une remontrance. Mais la prochaine fois, on a compris, on passera d'abord au bureau de la réserve!

Notre route vers Gibraltar sera longue, un peu de voile, beaucoup de moteur. Eric tu avais tort, le moteur, on va beaucoup l'utiliser.
A l'approche de Gibraltar, au milieu de la nuit, nous laissons Aloha à la dérive. Marre du bruit du moteur, et toujours pas de vent.
4h30 nous sommes réveillés par une sirène à la VHF suivi d'un "PAN PAN bateau d'émigrants à la dérive". Toutes les demi-heures, même cinéma jusqu'au levé du jour. Espérons que ce n'est pas nous qu'ils ont pris comme bateau à la dérive, car si on voit débarquer l'armée ça va nous coûter bonbon!

Au 8ème jour de navigation, encore moteur. On se croirait sur le lac en août. L'eau est lisse, parfois on apperçois une risée. Avec le Smac on aurait encore pu imaginer avancer un peu, mais pour Aloha et ses 22 tonnes, il en faut un peu plus!
C'est peut-être grâce à cette eau si plate que nous avons pu voir nos premiers cétacés. Surtout les ailerons dorsaux, car le couple restera à distance.
A la fin de cette journée, nous croisons de plus en plus de cargos. Notamment des porte-conteneurs, ce qui inspire à Farah la réflexion suivante "il y a beaucoup de déchets!" sans pour autant qu'elle se demande où ils vont.

Nouvelle nuit proche de Gibraltar et vers 2h nous affalons tout. La brume est si dense que l'on ne voit pas l'avant du bateau. Il est vrai que nous approchons de plus en plus de l'Angleterre! Espérons que les gros bateaux nous repérerons sur leurs radars…

Au petit matin, on aperçoit enfin Gibraltar. Nous passerons le cap vers 7h30 avec un banc de dauphins et enfin l'océan Atlantique; avec lui aura-t-on enfin du vent?
Rapidement nous sommes à nouveau pris dans le brouillard. Les annonces à la VHF se succèdent, soit du côté espagnol, soit du côté marocain. Une chose est sûre, on n'y voit pas à 1 mile. Les cargos ne doivent pas quitter leur route, mais il y a aussi des bateaux de pêcheurs qui croisent dans la région. On se sent vraiment tout petits, dans ce smog anglais.
A quelques miles de la côte, enfin nous sortons du brouillard et vers 19h50 le vent océanique nous emmène au large. Toutes voiles dehors, nous filons à 8 nœuds vers Madère.

Le 10ème jour de navigation sera pareil. On fonce à 8 nœuds. La houle est bien différente qu'en Méditerranée. Les vagues sont plus éloignées, plus arrondies, et moins hautes (2-3m). On gîte en permanence à bâbord. Difficile de cuisiner quand la cuisine se trouve à tribord et qu'à chaque ouverture de casier, le chargement vous arrive dessus. Très malin de faire remarquer qu'il ne fallait pas charger tout du même coté, alors que la cuisine n'a qu'une face!

11ème jour, les airs nous abandonnent vers midi, et comme on en a marre d'attendre Madère, nous testons une fois de plus l'efficacité du moteur.
Nous croisons notre premier voilier qui n'aura même pas l'amabilité de nous saluer. Après des jours en mer, les gens deviendraient-ils aigris?

12ème jour de mer, de nouveau un peu d'air. Le temps nous semble de plus en plus long. Nous finissons les dernières vivres "fraîches", vivement que l'on  arrive. On commence sérieusement à s'impatienter.

Ça y est, terre en vue. Je dirais même mieux, nous avons vers 6h00 du mat ancré Aloha dans la baie de Porto Santo. Les enfants dormaient encore, ils n'ont pas pu vivre se moment "crissant" de voir enfin la terre s'approcher.
Après quelques heures de sommeil nous partirons enfin à la découverte de notre première destination.

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